
Je
suis né en 1966, j’ai toujours vécu ici, la ferme est dans la famille au moins
depuis le XVIème siècle.
Je suis avec ma compagne Sylvie, j’ai eu mon bac en 1984, par la suite je devais faire un BTS, les soucis de santé de mon père ont décidé autrement, j’ai arrêté l’école pour rester à la ferme. Pendant un moment, j’ai été aide familial puis j’ai repris l’exploitation en 1989.
«
Mes parents étaient vraiment, vraiment la crème. »
À partir du moment où je me suis installé, j’ai pris les rênes. Ils venaient me donner un coup de main, mon père s’occupait des clôtures, ma mère des petits veaux. Mais jamais ils ne se sont immiscés, ni dans la gestion ni dans mes choix. J’ai commencé à investir dans la génétique dans le but d’avoir un troupeau à haut potentiel. Une génisse issue d’embryons américains a été achetée, elle s’est révélée exceptionnelle tant au niveau de la morphologie (Ex 92), que de la production (15 000 L/an). Elle a été démultipliée par transplantation embryonnaire puis ses meilleures filles aussi. Aujourd’hui plus de la moitié du troupeau est issue de cette vache souche. On a un troupeau intensif avec une production laitière élevée, ce qui nous a permis d’être classés 15ème en France et premier dans le Finistère. Sur notre petite structure de 30ha, on produit 400 000L de lait avec 40 vaches laitières, j’aurais eu 200 hectares il est probable que j’aurais fait différemment.
Nous,
on est un peu une génération sacrifiée parce qu’on s’est installé avec les
quotas laitiers. À l’école d’agriculture, il y avait pas mal de Briécois, cette
densité d’éleveurs assez forte à rendu les opportunités de s’agrandir assez
difficile, les terres ne se libèrent qu’une fois et si tu as raté le train,
c’est foutu.
J’étais installé en individuel à l’origine, quand ma femme a rejoint l’exploitation en 2005, on a fait une EARL. Elle était secrétaire commerciale, elle a fait un stage pour avoir la capacité agricole, sinon tu ne peux pas prétendre aux aides. À l’origine, on devait récupérer un peu de quotas pour l’exploitation mais on ne nous a pas attribué ce qui était prévu.
Aujourd’hui,
en plus tu n’as pas le choix que de travailler avec l'informatique, les
déclarations de naissance, les interventions sur les animaux, tu es obligé de
le faire sur internet, tout doit être enregistré, tracé.
Je me suis formé à l’informatique grâce à mon frère aîné, qui est un excellent professeur. La salle de traite est équipée de compteur à lait, de détection de cellules, les vaches ont des colliers d’identifications avec détection des chaleurs etc. La production de lait est enregistrée tous les jours, ce qui m’a permis de faire l’impasse sur l’entreprise externe qui assurait cette prestation, avec à la clé une économie appréciable.
L’informatique m’aide dans la gestion quotidienne du troupeau, je vois tout de suite quand une vache est malade. Je fais aussi mes inséminations tout seul, je sais quand programmer les diagnostics de gestation, c’est un outil indispensable aujourd’hui pour faire le suivi de l’élevage. Je fais aussi mes enregistrements comptables, ça me permet de mieux gérer mon exploitation.
J’ai
des voisins qui ne sont pas du milieu agricole, quand ils ont construit à
proximité de l’étable j’ai tenté de leur expliquer nos contraintes ; la traite
matin et soir tous les jours, le passage du tracteur pour l’alimentation etc.
Un jour la DDASS est arrivée, la personne m’a dit : « à la troisième plainte,
on se déplace »: nuisances sonores, olfactives, j’avais tout le package.
Pour
faire perdurer l’exploitation, il fallait faire les mises aux normes avec la
construction d’une fosse, chose impossible à faire à cause des distances trop
faibles par rapport aux maisons. Il a fallu faire face, trouver des solutions
innovantes pour rendre les mises aux normes réalisables et donc avec l'appui de
la Chambre d’Agriculture on a trouvé un système de bassins avec des roseaux
pour épurer les eaux usées, l’administration a approuvé le dispositif, comme
quoi il faut toujours chercher pour avancer. La pression psychologique, c’est
usant, on a toujours l’impression d'être pris en défaut.
J’ai adhéré à une CUMA après mon installation, pour avoir accès à du matériel acheté en commun avec d’autres agriculteurs. Je possède 2 tracteurs, je fais un peu de prestations de services à l’extérieur, c’est arrivé comme ça, à la suite d’une sollicitation, par la suite j’ai investi dans un tracteur plus puissant pour faire du transport et du pressage.
2
événements marquants :
La
crise laitière d’avril 2009, ça a été un choc, mais phénoménal, on est passé de
400€/1000L à 215€ du jour au lendemain, c’est comme si à un salarié on lui
divisait son salaire par deux ! Le coût de production revenait à environ 250€
et donc on se levait tous les matins pour traire en sachant qu’on allait perdre
de l’argent. Cela faisait suite à une bonne année 2008 en termes de prix du
litre de lait, et même en vente de vaches en lait. Nous avons fait le choix de
vendre des vaches et nous sommes passés à traire trois par jour pendant 100 jours
environ jusqu’à fin mars 2009, 6h le matin, 13h et 19h le soir pour optimiser
notre quota, les meilleures vaches dépassaient les 60 L de lait / jour. Et puis
patatras, le marché s’est retourné, ma passion pour l’élevage en a pris un
sacré coup.
L’autre
évènement marquant a été le suicide de Jean Yves Marrec, cela a été dur très
dur parce que c’est quelqu’un de qui j’étais proche. On a fait toute notre
scolarité ensemble, de la maternelle au lycée. Ce qu’il a fait, c’est parce
qu’il avait senti son métier dévalorisé. Voir quelqu’un partir de cette manière
alors qu’il a travaillé toute sa vie pour nourrir les gens, c’est dur. Il y a beaucoup
trop de suicides dans le monde agricole, ce n'est pas normal.
Nous,
nous sommes producteurs de matière première, mais c’est la laiterie derrière et
la grande distribution qui gagne, la variable d’ajustement c’est toujours le
maillon faible, c’est-à-dire l’éleveur. On est peut-être la dernière génération
qui va au bout, aujourd’hui un jeune, s’il voit qu’après quatre ou cinq ans,
qu’il n’arrive pas à se dégager un salaire, il n’a pas peur d'arrêter la ferme,
pour nous c’est plus un héritage.
Dans une entreprise, c’est différent parce que ce sont eux qui décident du prix, ils ont un coût de production et ils intègrent leur marge dessus. Moi, je sais combien mon litre de lait me coûte à produire, mais ce n’est pas moi qui fixe mon prix de vente, c’est ma laiterie.
La
crise que l’on traverse, avec une inflation forte, se traduit par une
augmentation significative de l’alimentation pour nos concitoyens, mais pour
nous aussi ça coûte plus cher pour produire, alors quand j’entends le repas
dans une cantine à 1 euro, c’est bien mais de l’autre côté ça signifie que la
nourriture ne vaut rien ? J’ose espérer que les prix de nos productions vont
continuer à monter, de belles opportunités pour les nouveaux installés !
Mais, quand tu pars en retraite, on commence à te dire que tes bâtiments ne valent rien et ta maison pas grand-chose, ce n’est pas évident d’entendre ça. Tu as travaillé toute une carrière pour améliorer ton outil de travail et il faut que tu ne le cèdes pas trop cher pour favoriser l’installation des jeunes. Ce n’est pas cohérent, si on avait eu une rémunération à la hauteur de notre engagement, on aurait pu faire quelques sacrifices pour une possible reprise.
J’ai
également pris des responsabilités à l’extérieur. J’ai été administrateur dans
une coopérative d’insémination, je me suis engagé dans une banque locale, je
suis aussi trésorier de la Cuma après y avoir été secrétaire. Toutes ces
responsabilités m'ont apporté une ouverture d’esprit, c’est très intéressant de
faire des activités à l’extérieur parce que tu ne restes pas enfermé dans ton
monde.
Au
final, on exerce un super métier, mais il n’est pas assez valorisé.
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