Je suis né le 15 août 1959 à
Plounévez-Lochrist dans une famille de huit enfants. Mes parents avaient une
petite exploitation légumière et un petit troupeau de vaches pour valoriser les
prairies qu’ils avaient tout à côté. J’étais le septième de la fratrie.
A 20 ans, je suis parti près d’un
an en Grande Bretagne, j’ai travaillé au pair dans une ferme au sud du Pays de
Galles, puis des petits boulots dans des entreprises Ça m’a permis d’acquérir
quelques notions d’anglais
Revenu en France on m’a la
proposé un poste de chef d’élevage à la station expérimentale rattachée à
l’école d’ingénieurs agricoles de Beauvais. Ce fut une période très
enrichissante, j’étais en charge du suivi d’élevage, de l’organisation du
travail et du suivi des expérimentations en aliment sur les animaux.
Durant ces trois ans, j’ai
bénéficié d’une formation pour me spécialiser un peu plus encore en élevage.
Elle m’a permis de candidater sur des postes de technicien dans les
coopératives en Bretagne.
Nous avons pu dès lors, ma femme
Dominique et moi, démarrer notre vie de couple en emménageant dans un
appartement à Brest.
J'ai travaillé trois ans
comme technico-commercial à
COOPAGRI avant de m’installer sur
la ferme de Quillianou. Au cours de
cette période j’ai rencontré des éleveurs qui ne pensaient qu’à développer leur
exploitation. En 1985, je me rappelle encore de la visite d'un élevage qui
passait de 200 à 400 truies. C'était
incroyable de constater ce développement aussi rapide. Pour moi il y avait un
autre modèle à défendre. Et c’est une des raisons qui m’a poussé devenir
paysan. S’installer sur une ferme c’’est un projet de vie, il fallait que
Dominique, ma femme soit aussi d'accord. Le projet était atypique puisque
c’était une installation d’élevage de porcs en plein air. Les truies en liberté
dans les champs, c'était un peu innovant.
Je n’ai jamais eu l'objectif d’en faire plus avec le risque d’en perdre
la maitrise. J’ai souhaité me limiter à un élevage de 90 truies, un élevage à
taille humaine.
J’avais aussi besoin d’être connecté
à la nature afin d’avoir le contact avec l’animal. Le souhait très fort
d’offrir à mes enfants un cadre de vie équilibrant. L’envie d’entreprendre,
pouvoir aussi exprimer mes opinions me motivaient à me lancer.
Dominique ayant sa famille à Quimper, nous avons prospecté dans les environs. Le directeur de la chambre d’agriculture nous a signalé qu’il existait un Groupement Foncier Agricole et qu’une exploitation se libérait avec une volonté locale d’installer un jeune dans le cadre d’un GFA. En fait, il y a eu deux candidats sur cette exploitation. Le comité du GFA a fait son choix. Finalement, c’est mon projet qui a été retenu.
Il fallait acheter une partie du
corps de ferme et les terres environnant le corps de ferme, le reste étant propriété du GFA.
Il m’a fallu aller à la caisse
régionale présenter mon dossier et le défendre auprès des grands chefs. Ça a
été accordé.
Nous sommes arrivés à Quillianou en 1986, quelques mois après la naissance de Marie. La famille s’est agrandie avec la naissance de Maëlle en 1988 et Gwenolé en 1991.
J’ai adhéré à la SICA de Cornouaille qui me
proposait un financement de cheptel au démarrage. Le projet était un projet d’installation
élevage plein air de porcs, donc les truies en liberté dans les champs, c’était
un peu innovant.
J’ai eu un coup dur dès la
première année avec la tempête de 1987 ; je n’avais pas fini encore de monter
mes installations que déjà toutes mes cabanes étaient à refaire, Tout s’était
envolé avec des vents de plus de 200km/h. et 300 mètres carrés de toiture d’ardoise se sont
retrouvées dans la cour, retournées comme une crêpe.
J’ai démarré avec 90 truies. Naisseur et engraisseur et en étant
multiplicateur. C’est à dire que je produisais des animaux pour la reproduction
dans d’autres élevages. Je recevais en fait des animaux d’élevage de sélection
et je multipliais cette sélection. C’était très technique. Ça donnait une
plus-value au travail, c’était mieux rémunéré. Je considérais que cette taille
d’atelier, bien menée, était suffisante.
Les saillies étaient naturelles,
les animaux étaient mis dans des parcs ensemble en gestantes et ensuite mis en
parcs individuels pour la mise basse avec une seule cabane par truie et les naissances
avaient lieu dans les cabanes.
Il pleut beaucoup en Bretagne,
surtout en Finistère. C’est vrai que les cochons ont tendance à remuer la
terre, ils piétinent. Au bout d’un moment, on se retrouve quand même avec des
endroits très, très boueux. Et il y a eu des hivers compliqués où il fallait
leur apporter de la paille dans les cabanes quasi tous les jours…Ce système a
ses limites. Je dois dire qu’ayant
eu foi dans mon projet, je faisais en
sorte que ça marche, mais bon, Ce n’était pas évident tous les jours.
Je suis resté avec l’élevage de
truies en plein air pendant sept huit ans. En 1993, je faisais construire mon
premier bâtiment pour accueillir les truies qui mettaient bas. C’était surtout un confort de travail et une sécurité
dans les résultats techniques.
Au fil des années, les techniques
ont évolué selon des normes très strictes. Les truies mettent bas en bâtiment. Elles ne sont plus
fécondées en saillie naturelle mais inséminées. Et puis en 1997, il y a eu le choix d’arrêter
la multiplication. Je continuais à produire mes propres reproducteurs. Je
prélevais un verrat et je multipliais les semences pour faire mes
inséminations. Un métier très technique tout en autonomie, ça me permettait de
payer quelqu’un chez moi.
J’avais un salarié à mi-temps.
L’autre mi-temps chez René Férec, très
investi dans cette période à la Chambre d’Agriculture.
Et rapidement en 2000. J’ai lancé
le projet de fabrique d’aliments à la ferme. Je reconstituais tous les aliments
consommés par les porcs avec achat de céréales en plus de celles que je produisais.
J’allais complètement à l’encontre du discours qui était tenu par la Chambre d’Agriculture
qui disait qu’une fabrique d’aliments n’est rentable qu’à partir de 180 truies.
Mais dès la première année, je réalisais une économie de 15 000 €.
Le problème aussi qui se posait c’était
le foncier. Dans le secteur de Briec beaucoup de jeunes se sont installés dans les
années 90. Nous étions tous demandeurs de surfaces agricoles Il arrive un
moment où le plan d’épandage n’est pas extensible. Donc il faut aussi pouvoir
gérer ses effluents d’élevage. Rapidement, toujours dans la recherche
d’autonomie de l’exploitation et de diminution d’intrants je me suis équipé en
matériel pour épandre les lisiers sur les céréales. Depuis c’est devenu une
pratique courante.
L’informatique a eu un impact
parce que cela m’a permis de ne pas faire appel à un centre comptable pour
faire une fiche de paye. Pour le suivi d’élevage, je me suis équipé d’un
logiciel très tôt pour le suivi des truies, chaque truie avait sa carrière dans
l’ordinateur et je sélectionnais mes truies en fonction de leur capacité à
produire. Je faisais donc ma propre sélection.
On a toujours pris trois semaines
de vacances en famille par an. 15 jours en été et une semaine au printemps.
Quand j’ai été élu à la mairie de
Briec, René n’avait plus de responsabilités à la Chambre d’Agriculture, j’ai
gardé le salarié à temps complet
Rapidement je me suis investi encore
davantage dans la vie locale. C’est encore un autre chapitre.
En 1992, avec d’autres parents
dont André Le Du, on a monté un projet de centre de loisirs et de crèche
parentale associative qui s’appelait la Maison Bleue. Nous étions plusieurs
parents à ne plus avoir la famille
disponible à proximité. Ce qui a amené ce besoin de garde d’enfants.
Encouragé par l’APIMA, nous avons réussi à constituer un groupe pour
la crèche, un groupe pour le centre de loisirs avec le soutien de la Fédération
Familles Rurales.
Au départ la crèche accueillait
huit enfants et le centre fonctionnait occasionnellement. Et puis les effectifs
ont vite grossi au point qu’il nous fallait même refuser du monde sur certaines
périodes. Et il fallait embaucher énormément l’été on arrivait à 150, 180
enfants au centre de loisirs. J’en étais le président pendant 8 ans mais avec
un soutien timide de la municipalité les bénévoles que nous étions ont fini par
souhaiter passer la main à la collectivité. C’était devenu beaucoup trop gros
pour nous. Il y avait trop de salariés. La fonction employeur était devenue difficile. Le centre de loisirs est
passé communautaire 2 ans plus tard.
En parallèle, j’étais aussi investi dans le syndicat agricole. J’ai participé jusqu’en 2001, pendant cinq ans au bureau de la Confédération paysanne. Et c’est vrai qu’il y avait le problème des ateliers d’élevage devenus trop importants et l’accaparement par certains des terres d’épandage. La Confédération Paysanne prônait des tailles d’atelier familial. Avec d’autres, j’ai participé à bon nombre de manifestations. Je me retrouvais complètement dans ces valeurs-là.
En 2001, je fais partie de
l’équipe menée par Jean Paul Le Pann aux élections municipales. Il devient premier maire de gauche de la commune
de Briec. Et d’élu dans l’opposition, je suis passé adjoint en charge de l’enfance
jeunesse. La crèche est alors passée à son tour communautaire.
En tant qu'élu et président de
famille rurale, je me suis retrouvé aussi élu référent sur le centre social. C’était
très chronophage mais le centre social s’est beaucoup développé surtout l’animation
jeunesse qui n’existait pas jusque-là.
Un contrat a été signé avec la
CAF et a donné des moyens financiers
pour développer la crèche et le centre
de loisirs, permettant aussi le
lancement du relais assistance
maternelle(RAM) et de la ludothèque. Nous avons lancé le projet de maison de l’enfance en 2003. Entre la
réflexion et la construction il s’est passé 5ans. Impatient comme je suis, j’ai
trouvé ce temps une éternité.
En tant que paysan, j’ai lancé
aussi la réflexion sur la chaudière bois et donc la production de bois bocage,
avec l’appui ici de l’APIMA et l’idée d’une piscine chauffée par la chaudière
bois comme à Scaër. Ça répondait à une demande très forte des parents et des
écoles pour les enfants.
EN 2014, J’ai arrêté l’élevage de
porcs. J’avais fait le tour du métier, fatigué de la pression exercée par les
coopératives, l’administration, le contexte environnement.
Mon gendre Sylvain qui
travaillait dans le machinisme agricole a voulu revenir en Bretagne. Il a trouvé
une autre exploitation pour compléter la surface qui nous manquait. Nous avons
lancé le projet en grandes cultures bio
sur 80 hectares de blé panifiable, mélange triticale-pois pour les animaux, orge
de brasserie, petits pois de conserve et blé noir. Là aujourd’hui, il y a aussi
de l’épeautre, de l’avoine, et du seigle. Tout cela sans passer par les
coopératives dans la mesure du possible, à part les petits pois de conserve qui
dépendent d’un organisme industriel.
On essaye aussi à chaque fois,
bien entendu, de faire nos propres semences avec les productions que nous
avons. Donc toujours en limitant à tout prix les intrants. Et ma foi, ça
réussit assez bien.
La plupart des paysans sont liés
aux coopératives qui fournissent toute la semence, les produits phyto sanitaires,
l’engrais et à la moisson reprennent les céréales pour leur revendre des aliments complets.
Donc franchement, si on peut éviter ce genre de chose, c’est aussi bien.
A l’installation en 1986, j’ai
reçu un sacré coup de main de la part des voisins que j’ai essayé de rendre dans
la mesure du possible dans les moments d’entraide. Mais j’étais vite limité
n’ayant pas de matériels en propre. La CUMA n’a démarré qu’en 1992 à
l’initiative de plusieurs d’entre nous.
Aujourd’hui en retraite depuis 3
ans, je suis bénévole à Solidarité
Paysans. Ça me prend pas mal de temps. C’est une association bretonne rattachée
à un réseau national avec une antenne à Briec.
Elle intervient auprès d’agriculteurs qui ont des difficultés de tout ordre
économique, psychologique. On fait de la prévention suicide également. On ne va
que chez les gens qui nous appellent. On fait un peu communication dans les journaux,
le bouche à oreille, on est connu des organismes comptables, des vétérinaires,
des assistantes sociales, de l’administration. On intervient en binôme avec un
bénévole et un salarié lorsque l’on va chez le paysan qui nous appelle. Il peut y avoir des situations qui traînent en
longueur, des plans de redressement mis en place. On accompagne parfois
certaines personnes sur des cessations d’activité. Les banques ne jouent pas
toujours le jeu et les coopératives
encore moins. Elles assomment le paysan. C’est impressionnant.
Dans mon temps libre,
actuellement, je participe à la mise en place du sentier de randonnée qui se
fait sur Briec qui vient d’être validé par la fédération.
Pour l’avenir, je pense qu’il y
aura toujours besoin de paysans. Je ne crois pas dans le devenir d’une agriculture
qui ne tient pas compte de la nature. Donc après, c’est un métier de passion.
Ce sera toujours exigeant, très exigeant. Maintenant, il faut bien monter son
dossier d’installation pour pouvoir garantir un revenu avec un bon apport
financier au départ. Je pense qu’Il y a de la place pour des gens passionnés
mais ce sont les banquiers qui jugent la personnalité des gens et qui accordent
leur confiance aux porteurs de projet. Le conseil que je donnerai à tout
paysan : « Ne jamais rester seul avec ses problèmes ; il y a
toujours quelqu’un pour aider, conseiller. »
On verra encore des évolutions,
c’est clair. Et avec le réchauffement climatique, je ne sais pas comment ça va
évoluer. Oui, j’espère qu’on arrivera à s’adapter.
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